Parisquat - 272 pages -
Des squats politiques Ă Paris 1995-2000
BERTHAUT Jean
« Quâest-ce que ça mâa apportĂ© ? Rencontrer plein de monde, crĂ©er, dĂ©couvrir des choses, toute cette effervescence ! Ă lâĂ©poque, jâĂ©tais attirĂ© par lâidĂ©e dâhabiter avec des gens ; je trouve trop misĂ©rable dâhabiter seul dans un appartement tout petit. En Ă©tant avec dâautres gens, on construit un rapport de force, chacun amĂšne ses expĂ©riences et cela se confronte, sâaccorde... »
Pat
« Je ne savais pas trop, mais je voulais aller de lâavant, je ne sais plus trĂšs bien ! JâĂ©tais impatiente que ça change et jâai sautĂ© sur cette opportunitĂ©. Je crois que je cherchais une certaine âcommunautĂ©â. »
Manue
« Lâouverture câĂ©tait marrant, un peu grisant et un peu flippant ; on entrait, on ne savait pas ce quâon allait trouver. La dĂ©couverte du lieu, il y avait tout le stress liĂ© aux flics. Les premiĂšres nuits, tout le monde dort peu, donc tout le monde est un peu tendu et ça nâempĂȘche pas que, pour un rien, tout le monde rigole. Lâexpulsion, ça câĂ©tait moins marrant. Moi, câest le bruit qui me... Le bruit de la porte dĂ©foncĂ©e au petit matin. »
Mathieu
« Occuper un grand bĂątiment en plein Paris, pouvoir le gĂ©rer par nous-mĂȘme et en faire ce quâon voulait. Ăa mâa tout de suite rappelĂ© des sensations de mon enfance, quand on faisait des cabanes dans les bois. »
LoĂŻc
Parisquat
Introduction
CâĂ©tait...
Carrefour des Gobelins Ă Paris. La manifestation sâavance, ils sont au moins cinquante mille. Les plus jeunes sont devant, ce sont les lycĂ©ens, ils ne sont pas venus pour sâemmerder et dĂ©valent lâavenue sans se soucier de la prĂ©sĂ©ance. Les Ă©tudiants suivent en bon ordre avec banderoles et camions sono. Des petits groupes sâaniment le long du cortĂšge, sans doute les « casseurs » ; ils finissent par dĂ©passer tout le monde et arrivent en tĂȘte sur les barrages de police. Ils annoncent la fin de la rĂ©crĂ©ation. Jets de pierres, riposte lacrymogĂšne, « la fĂȘte est gĂąchĂ©e », des voitures sont retournĂ©es et incendiĂ©es, des vitrines sont brisĂ©es, « Ă©tudiants pas casseurs »... Sommes nous en 1994 ou en 2006 ? Contre le CIP ou contre le CPE ? Douze annĂ©es sĂ©parent ces deux mouvements qui se ressemblent. Jâassiste Ă cette manif du 16 mars 2006 et je me pose ces questions. De passage Ă Paris, par curiositĂ© ou par hasard, je suis passĂ© voir cette manifestation, histoire de constater que tout est question de point de vue. Câest troublant de « revoir » ces mĂȘmes scĂšnes avec mes yeux dâaujourdâhui ; je me retrouve plongĂ© parmi les images de mes vingt ans et je me sens vieux. Ce sont les annĂ©es qui dĂ©filent, je reconnais les militants rencontrĂ©s Ă la fac, les libertaires des SCALP, les trotskistes de la LCR... Ils nâont pas changĂ©, juste pris du galon. Je croise dâanciens potes autonomes * de lâĂ©poque des squats, ils sont prĂȘts pour la castagne avec la police. Je les trouve un peu dĂ©calĂ©s et puis je ne peux mâempĂȘcher, moi aussi, de jouer Ă repĂ©rer les flics en civil et Ă©valuer le dispositif antiĂ©meute. Quand ça pĂšte, mes vieux rĂ©flexes reviennent instantanĂ©ment, câest comme le vĂ©lo paraĂźt-il ; Ă©viter les charges, prendre les flics Ă revers... Je suis Ă©tonnĂ©, comment ai-je pu me laisser prendre au jeu ? AprĂšs tout ce temps ? Jâai Ă©tĂ© politisĂ© au lycĂ©e puis Ă la fac, peu Ă peu jâai recherchĂ© ce qui se faisait de plus « radical » : les libertaires, les SCALP et enfin les squats politiques. Le mouvement des squats est une nĂ©buleuse complexe : il y a les squats dâartistes, les squats africains, les politiques, les punks, les zonards, etc. Ils cultivent leurs diffĂ©rences, chacun a ses particularitĂ©s, mais tous sâinscrivent dans des codes et une histoire collective. De 1995 Ă 2000, jâai frĂ©quentĂ© puis habitĂ© dans des squats Ă Paris. Jâai eu envie de parler de cette pĂ©riode parce quâelle est une des plus riches de ma vie. On mâa donnĂ© une culture de la mĂ©moire, il faut raconter, expliquer, comprendre. Et puis je nâaime pas lâidĂ©e que les souvenirs puissent se perdre. En discutant de ce projet avec mes amis de lâĂ©poque, je me suis rendu compte que tous avaient quelque chose Ă dire : « Et nâoublie pas ça, et tu parleras de ça aussi, et machin ceci... », « Fais un truc un peu perso... », « Tu te souviens de la fois oĂč... » Jâai senti le besoin que les gens avaient de reparler de tout cela. Quâil restait comme un goĂ»t dâinachevĂ© et des comptes Ă rĂ©gler, avec dâautres et avec soi-mĂȘme. Bref, on avait besoin de sâexprimer lĂ -dessus. Cette histoire sera Ă©crite avec leurs voix, ça mâa paru Ă©vident. Sans savoir vraiment comment le projet allait prendre forme, jâai prĂ©parĂ© des entretiens pour recueillir les tĂ©moignages. Mais jâai dĂ» un peu dĂ©chanter parce que, Ă partir du moment oĂč câest devenu formel (entretiens enregistrĂ©s), les gens nâavaient plus tellement envie de parler. Il y a mĂȘme eu une sorte de parano de la part de certains : « Ăa va devenir quoi, en fait, ce que tu enregistres ? » Au passage, je tiens Ă remercier celles et ceux qui ont bien voulu rĂ©pondre. Ils parlent de leurs expĂ©riences avec sincĂ©ritĂ©, sans fard, ce qui nâest pas trĂšs courant dans ce milieu.
Ă propos des entretiens
Je nâai pas fait un travail « sociologique », je suis allĂ© voir mes amis et jâai retranscrit nos discussions. Pour les prĂ©parer, chaque personne a reçu un questionnaire. Ensuite, jâai expliquĂ© ma dĂ©marche. Les entretiens se sont faits Ă lâaide dâun dictaphone. Tous les prĂ©noms des interviewĂ©s et des personnes citĂ©es ont Ă©tĂ© changĂ©s, afin de prĂ©server une certaine discrĂ©tion. Je nâai pas eu la possibilitĂ© de faire relire les textes Ă tout le monde. Il y a quand mĂȘme eu des retours avec des modifications. Je ne sais pas vraiment Ă qui sâadresse ce travail. Quelque part, câest un peu le livre que jâaurais aimĂ© trouver Ă lâĂ©poque oĂč je squattais. JâĂ©tais toujours Ă la recherche des histoires des « anciens », dâanecdotes et de conseils. Câest aussi une maniĂšre de rĂ©pondre Ă la question : « Quâai je fait de tout ce temps ? »
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